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Encore de l'art contemporain

Hier, autour de 18 heures, je feuillette Beaux-Arts magazine de novembre. Un article attire mon regard, car il reprend l'un des points soulevés par Commande publique: «Enquête sur les restaurateurs de l'impossible face à Koons, Hirst... L'art contemporain à durée limitée?»

Je regarde les photos. Finalement, mon problème n'est pas que je n'aime pas l'art contemporain, c'est que je n'arrive pas à le prendre au sérieux. Si l'on excepte quelques œuvres affreuses, et quelques autres terrifiantes (et donc très fortes, sans doute les meilleures, supposé-je (mais qui a envie de vivre avec une œuvre terrifiante dans son salon, une œuvre qui vous donne envie de hurler de terreur ou de désespoir?)), j'ai toujours l'impression d'être en face d'une bonne farce. Les discours très abstraits sur le thème me complexent terriblement : quand je vois une gigantesque peau de banane suspendue au plafond, dont deux pans sont relevés à l'aide de câbles, découvrant l'empreinte d'un corps d'homme dans le corps de la banane, j'ai avant tout envie de rire. Ce n'est pas que cela ne me plaise pas, mais j'ai envie de rire, et je me demande pourquoi tout le monde ne rit pas: une impression de roi nu.


Autre photo, petite, bleue. Il s'agit de paquets de Gauloises.

Je copie la légende de la photo:

Pierre Buraglio, Gauloises. 1978, assemblage de paquet de cigarettes, 200x200 cm.
Pour assembler ce panneau de 336 paquets de Gauloises bleues, Pierre Buraglio avait utilisé des bandes de Scotch qui ont jauni avec le temps. Les restaurateurs les ont retirées et les ont remplacées par des matériaux plus stables, tout en s'interrogeant: la seule trace autographe de l'artiste étant d'avoir posé ce Scotch, en le retirant ne risquait-on pas d'annuler son geste?

Le panneau me plaît, l'idée me plaît, la couleur me plaît... mais quand je lis cette légende, j'ai à nouveau envie de rire: comment peut-on être si pompeux devant une chose aussi ludique? Ou alors cette légende n'est pas pompeuse, mais tongue in cheek? Comment savoir, comment décider, je ne connais rien des codes de ce monde-là.
Et je m'interroge: je croyais que ce qui comptait, c'était l'idée, davantage que "la trace autographe". L'idée d'un panneau de Gauloises subsiste, quel que soit l'adhésif. Alors? Y aurait-il réapparition de la technique, un artiste étant finalement jugé dans sa capacité à durer, au sens le plus concret du terme (sens de la matière, des matériaux, retour à l'antique problème de la conservation de la couleur et des textures)?

Voiliers

Comme dirait Louis XVI, "rien".
Du vélo, des vélos, il fait froid. Beaujolais nouveau, pas trop mauvais, réchauffant.

Pascal Perrineau analyse l'opinion des Français face à "l'ouverture" (mais le mot ne sera jamais défini. Par recoupement, on déduira qu'il s'agit du contraire du protectionnisme ou du conservatisme): rien de transcendant, même pas de quoi remplir un billet, mais il est drôle. Le grand clivage entre les Français aujourd'hui n'est plus la classe sociale ni l'opinion politique, mais la réponse donnée à la question «A votre avis, la mondialisation est-elle plutôt une chance pour la France?» 51% des Français répondent non, 48% oui.

L'eurobaromètre permet de poser les mêmes questions dans tous les pays de l'Union européenne. Les Français font souvent partie des plus pessimistes. Nous sommes les premiers consommateurs d'antidépresseurs au monde.

En passant devant l'hotel Lutetia, je remarque un tourbillon derrière une vitre:


Il s'agit de minuscules bateaux en papier.


Je n'ai pas retenu le nom de l'artiste, ce n'était d'ailleurs pas très clair. Ricardo quelque chose, sans doute.

Hier

Longue journée hier : tout d'abord visite privilégiée avec guide individuel de la cathédrale de Chartres, visite malheureusement écourtée par l'action conjointe d'un suicide le matin et d'une Anglaise qui n'avait pas imaginé que son restaurant pût accueillir tant de clients le midi (la dernière cliente négociant âprement une assiette de soupe); redécouverte des longues robes romanes et des visages si doux, de la rosace et de l'obscurité particulière de cette cathédrale (je n'y étais pas venue depuis vingt ans, je pense). Commentaire suivi des vitraux et des statues, et comme toujours cette conviction qu'il serait bien temps que je relise la Bible.

Dormi profondément dans le train, remis une religieuse dans le droit chemin à la gare Montparnasse, mangé deux gâteaux au gingembre, arrivée vers sept heures à la galerie.

Je n'ai pas l'habitude de ce genre de manifestations, et pour tout dire, je les crains : je redoute le snobisme, le parisianisme (forme particulière de snobisme qui s'exprime surtout par des exclamations bruyantes de femmes, la particularité parisienne étant à mes oreilles le ton, l'accent, un côté poissonnière précieuse), les gens impolis qui se précipitent sur les cacahuètes et le kir, tout ce petit monde venu pour tout sauf pour les tableaux.
Donc j'y allais craintivement.

J'ai été enchantée. L'accrochage est très réussi, il y a une grande harmonie entre les proportions de la salle et celles des tableaux (ce n'est pas si simple, les tableaux étant souvent grands et la salle plutôt moyenne), l'alternance des tableaux sombres et clairs maintient la curiosité en éveil, et la salle (avant d'être pleine de monde) est suffisamment spacieuse pour permettre de prendre du recul devant les œuvres.
Les tableaux sont très bien choisis, très représentatifs. J'ai retrouvé les volcans sur un mur, impression de croiser de vieux amis, un peu triste de me dire que s'ils sont vendus, je ne les verrai plus.
Il n'y avait ni cacahuète ni kir ni grandes exclamations, les gens sont venus nombreux mais calmes, tranquilles, heureux d'être là. C'était bien.

Plus tard, chez Jean-Paul Marcheschi, le besoin de m'assoir m'a rapprochée d'une petite blonde qui s'est avérée être la responsable de la galerie. Nous avons parlé un peu d'art (enfin, surtout elle, il valait mieux!), elle me disait être effrayée par la façon dont la France, les Français, vivaient totalement repliés sur eux-mêmes en matière de peinture et n'avaient aucune idée de ce qui se faisait à l'étranger. Elle me parla avec admiration des Allemands, de leur culture artistique, de leur façon d'aller spontanément vers les tableaux «les plus durs, les plus forts».
Elle connaissait Jean-Paul Marcheschi depuis les années 1990, quand il exposait à la Fiac.
Je lui ai demandé si elle savait qui était la minuscule vieille dame entourée d'attentions assise au milieu de la pièce.
— Eh bien, vous savez peut-être que Jean-Paul a vécu longtemps avec un garçon qui est mort. C'est sa mère…
Je l'interrompis :
— Vous voulez dire que c'est la mère d'Oyosson?
— Euh oui, sans doute… Vous connaissez? La mère d'Oyosson… J'ai senti les larmes qui montaient, assise sur le canapé, à côté de cette inconnue à qui j'aurais bien été en peine d'expliquer mon émotion.
— Excusez-moi, je suis très émue… c'est très étrange, les livres, c'est comme si les personnes sortaient des pages… (Je me suis enfoncée dans une explication compliquée qui avait l'avantage d'éloigner l'émotionnel et nous avons changé de sujet.)
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